Billie Holiday, une affaire d’État
de Lee Daniels
Biopic, Musical, Drame
Avec Andra Day, Trevante Rhodes, Garrett Hedlund
Sorti le 20 octobre 2021
Le 20 avril 1939, Billie Holiday enregistrait Strange Fruit, une chanson aux antipodes de son répertoire habituel appelée à devenir l’un des hymnes du mouvement des droits civiques aux États-Unis.
Si, à sa sortie, Strange Fruit fut qualifiée par le Times Magazine de « Musique de propagande », elle devint « Meilleure chanson du siècle » soixante ans plus tard, soulignant l’impact du morceau sur la société américaine.
Mais cette œuvre eut pour conséquence de placer Billie Holiday dans le collimateur des autorités fédérales, principalement d’un agent du bureau des narcotiques et raciste notoire nommé Harry Anslinger. Ne parvenant pas à incriminer la chanteuse pour Strange Fruit, ce dernier tâcha de la coincer pour sa dépendance aux drogues. Cet acharnement conduira l’artiste en prison à la fin des années 1940.
Billie Holiday, une affaire d’État est l’histoire de cette obsession.
Dès le départ, ce nouveau long-métrage de Lee Daniels s’assumera comme un film dénonçant la ségrégation, présentant d’entrée la photographie d’un lynchage avant d’enchaîner sur une interview de Billie Holiday visant à savoir « ce que ça fait d’être une femme de couleur ». En ce sens, il s’intègre pleinement dans la filmographie de son réalisateur, trouvant sa place auprès de Precious (2009) ou encore du Majordome (2013).
Cependant, l’intrigue déviera rapidement vers l’addiction à la drogue de Billie Holiday et la traque orchestrée par l’agent Anslinger, ne permettant plus au film de se positionner vis-à-vis de lui-même. En résultera une intrigue qui restera souvent en surface, n’étant au final ni réellement un film sur le racisme, ni réellement un biopic pleinement assumé.
Derrière ses apparences de chanteuse de variété, Billie Holiday comprenait pertinemment bien le sens des paroles de Strange Fruit et l’engrenage enclenché en chantant cette chanson. En centrant l’intrigue sur les problèmes de drogue de l’artiste, le réalisateur semble malgré lui faire de Billie Holiday la victime d’une histoire qui la dépasse, là où celle-ci était en réalité clairvoyante quant à la situation vécue. Ainsi, on percevra trop peu clairement la volonté de l’agent Anslinger d’empêcher la chanteuse d’interpréter Strange Fruit et, au travers de cela, de défendre la cause afro-américaine. Un meilleur positionnement de l’intrigue aurait apporté une plus grande fluidité à l’histoire, quitte à faire deux films différents.
Derrière cela, Billie Holiday, une affaire d’État offre une photographie léchée et des interprétations impeccables de la part de ses comédiens, Andra Day en tête de liste ! L’artiste parviendra en effet à imiter Holiday à la perfection (elle chante elle-même toutes les chansons avec une ressemblance frappante), tout en incarnant un personnage complexe et fragile. On pensera par exemple à une séquence d’intimité physique entre elle et l’agent infiltré Jimmy Fletcher dans laquelle on comprendra tout le tragique passé de l’artiste, autant que ses blessures actuelles et son incapacité à se défaire de sa carapace. Une interprétation tout en nuance et en complexité.
En somme, s’il n’est pas dénué d’intérêt historique, esthétique ou même cinématographique, Billie Holiday, une affaire d’État peine souvent à trouver son propos et restera finalement toujours très en surface, donnant naissance un film intéressant mais finalement assez classique et rapidement oublié. Dommage, car Billie Holiday aurait mérité beaucoup mieux !