Xenia
de Panos H. Koutras
Comédie dramatique
Avec Kostas Nikouli, Nikos Gelia, Yannis Stankoglou, Marissa Triandafyllidou, Aggelos Papadimitriou
Sorti le 18 février 2015
Quatrième long-métrage du réalisateur grec Panos H. Koutras, Xenia retrace l’apothéose d’une odyssée grecque sous l’angle de deux jeunes frères qui se retrouvent. Si le cinéma grec avait perdu l’éclat de son âge d’or, Xenia nous rappelle aujourd’hui qu’il insiste, persiste et surtout libère.
Danny, jeune adolescent de 16 ans, homosexualité collée au front, se dirige vers Athènes pour retrouver Odysseus, son frère de 18 ans. Il lui annonce que leur mère, ancienne chanteuse albanaise, est morte; et que l’Innommable, leur père, d’origine grecque, qui les a quittés depuis douze ans et qu’ils ne connaissent pas, vit à Thessalonique sous un autre nom. Danny essaie de convaincre son frère d’aller le retrouver et lui demander ce qu’il leur doit : de l’argent et surtout une nationalité. Il essaie aussi de ramener son frère à son rêve, qui n’est autre que celui de leur mère de voir Ody devenir chanteur.
Xenia transforme le récit classique en une odyssée contemporaine qui privilégie le voyage jubilatoire des deux héros à la finalité de leur désir. Gagner la compétition de chant ou être sûr d’avoir retrouvé leur père n’est plus prioritaire face à l’échange qui a lieu. En chemin, ils retrouvent un amour fraternel hibernant dans un passé commun vécu avec leur mère, qui se déploie autant en confrontations qu’en célébrations. Un lien se crée entre les deux frères, vecteur à travers lequel ils s’inter-échangent des individualités: Danny rappelle à Ody son rêve délaissé sur le chemin de la responsabilité de devenir chanteur, il lui contagionne l’insouciance de l’aventure et lui souffle le goût à l’amour ; Ody ôte à Danny une partie de son enfance –autant organique que symbolique- qu’il refusait de quitter.
En dirigeant ses deux acteurs débutants doués d’un admirable talent (Kostas Nikouli et Nikos Gelia), Koutras façonne deux personnages tridimensionnels qui arrivent à exister indépendamment de toute nécessité dramatique. Danny n’est pas limité au statut d’enfant, il tient autant à son revolver qu’à ses sucettes et son sac, et c’est l’articulation des deux opposés qui le complexifie : l’image d’un enfant très poli, qui, un revolver à la main, demande des sucreries. Il prend les initiatives des recherches et se lance sans peur dans des actions qu’un adulte aurait calculées. Doté d’une aura sexuelle à laquelle il prend plaisir sans en abuser, Danny arrive à échapper aux histoires d’amour homosexuelles stéréotypées. Toutes ces caractéristiques du personnage se remarquent déjà à la façon exagérée avec laquelle il s’habille, surtout avec les impressions chromatiques frappantes, empruntant au grand cinéaste italien Michelangelo Antonioni l’idée que « La couleur de l’habit d’un acteur est beaucoup plus importante qu’un mouvement d’appareil.»
Quant à Ody (diminutif d’Odysseus, nom grec d’Ulysse), il possède le don de la voix. L’usage qu’il en fait rappelle ce qu’Homère, dans son épopée en d’autres circonstances, décrit en disant : « A peine avait-il laissé sa grande voix sortir de sa poitrine, avec des mots tombant pareils aux flocons de neige en hiver, aucun mortel alors ne pouvait plus lutter avec Ulysse » (Iliade III, 221-224). Un parallélisme se dresse alors avec le don d’Odysseus, en particulier dans la scène de la compétition, qui s’alterne dans le film avec une autre scène de capitale importance : la voix dans cette séquence a le même effet performatif que décrit Homère.
Xenia prend vie sous la voix de la fameuse chanteuse italienne des années 1970 Patty Pravo, au son de laquelle Ody et Danny ont été bercés, ont chanté et répété des chorégraphies avec leur mère. Sur ses chansons, le corps entier des deux frères se déplie, s’agite, tremble, danse, se balance d’avant en arrière dans la recherche d’un lien avec leur passé. Les séquences de danse dans le film dépassent l’effet de comédie musicale à une dimension expressive métonymique.
Des séquences oniriques viennent couper le réalisme du film pour exprimer un « ça » sous-jacent de l’inconscient de Danny. Ce torse poilu d’homme nu duquel il rêve, à l’idée duquel il se masturbe et qu’il cherche partout pour reposer sa tête ne serait-il pas la réminiscence lointaine d’un père qui l’a quitté ? Qu’en est-il, plus loin, de Dido, ce lapin anthropomorphisé avec lequel il dialogue, qui le suit, en ami intime, enfance qui a besoin d’être déchirée ? Danny confond le rêve et la réalité et ne dispose que de l’appareil photographique de son téléphone pour capter un réel duquel se souvenir.
Ce film est aussi un frisson tumultueux et complexe du relief social. Il expose à travers plusieurs situations et parfois une intrigue secondaire, l’émergence en Grèce –comme un peu partout dans le monde – d’une extrême xénophobie. L’Autre, dans le sens le plus large du terme, est rejeté. Koutras marque une opposition à « Xenia », pas seulement le titre du film ni l’hôtel où les deux frères se réfugient, mais aussi et surtout un concept antique grec proche de l’hospitalité. Albanais en Grèce, en recherche d’une identité, la question de l’appartenance se pose à travers plusieurs moments du film où le réalisateur nous offre de quoi secouer la pensée.
Xenia contemple dans une coulée sans heurts une belle histoire de fraternité tout en suivant une tonicité réjouissante. Elle transforme les petits riens en ingénieuses bagatelles. Xenia expire, soupire, chante, crie, hurle, tonne et se tait. Il ne me semble pas que ça soit une inexactitude ou une hyperbole de qualifier cet excellent film de chef d’œuvre.