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    Una via a Palermo d’Emma Dante

    una via a palermo affiche

    Una via a Palermo

    d’Emma Dante

    Comédie, Drame

    Avec Emma Dante, Alba Rohrwacher, Elena Cotta, Renato Malfatti, Dario Cassarolo

    Sorti le 9 juillet 2014

    Critique :

    Emma Dante, figure du théâtre contemporain italien, le disait elle-même au Monde en 2012 : chez elle, « tout vient de la rue ». On est bien là, dans son premier film : tout près de la rue palermitaine, miteuse et écrasée de chaleur, de ses éclats, de ses élans et de son chaos sauvage.

    Clara et Rosa se perdent dans Palerme en voiture, alors qu’elles cherchent à se rendre à un mariage, dont Rosa se serait bien passée. Vivant, on le devine, loin de la Sicile, où elle a passé son enfance, ce voyage l’irrite. Dans l’habitacle, l‘atmosphère s’alourdit, les deux femmes vont jusqu’à évoquer la rupture, quand soudain, en remontant la Via Castellana Bandiera, une voiture arrivée en sens inverse leur barre la route. Au volant, la vieille Samira, matrone vêtue de noir à l’esprit égaré, derrière laquelle s’entasse toute la famille Calafiore, qui n’a pas l’intention de laisser passer Clara et Rosa. De son côté, Rosa lui tient tête. L’après-midi s’étire, dans la ruelle peu à peu embouteillée, la tension monte… Derrière leurs pare-brise, Samira et Rosa se toisent silencieusement. Qui reculera la première ?

    Ce duel absurde, qui prend des proportions proches de la tragédie, c’est le cœur de Una via a Palermo. Autour de ce face-à-face, tournent les figures des quartiers pauvres de Palerme, les hommes et leurs combines, les gosses braillards, les femmes tempétueuses qui nourrissent tout le monde. Le film est marqué par le style développé par Emma Dante au théâtre : physique, heurté, crû, porté par la brutalité, les impasses et le tapage de sa ville, Palerme, où elle est revenue à la fin des années quatre-vingt-dix pour installer sa compagnie Sud Costa Occidentale et dont elle traque sans relâche, avec amour et colère, la misère et la splendeur. Au cinéma, cette énergie primitive, ce goût pour la violente poésie des bas-fonds, se traduisent par de brusques mouvements de caméra, par un rythme sec et une action volontairement resserrée autour de l’affrontement muet, entêté, ne souffrant ni négociations ni explications, des deux femmes, immobiles dans leurs voitures, qui semblent jouer là leur vie.

    La Via Castellana Bandiera est un huis-clos : on ne fait appel ni à la police, on n’invoque pas de quelconques règles, on se débrouille avec la composante dramatique et folle de la vie. Rosa ou Samira pourrait céder et mettre fin à l’affaire, mais toutes deux sont incapables de bouger. L’échange et le compromis ne s’envisagent pas ; leurs obstinations et leur pacte de principe, impossible à briser, les figent sur place.

    Si cette tentative de saisir quelque chose de la rue sicilienne et des êtres qui la peuplent, des chaines qui les lient, à partir d’un angle a priori extrêmement réduit, loin des synthèses englobantes, à travers leur peau, révèle une personnalité qu’on devine passionnée, intense et singulière, on attendrait d’une telle vitalité portée à l’écran qu’elle nous stimule et nous remue davantage. Le hic est peut-être celui du choix d’Emma Dante d’avoir fait de ce scénario, dont elle a d’abord tiré un roman, un film plutôt qu’une pièce. Précisément, elle dit avoir voulu s’imprégner de tout ce que le théâtre ne peut offrir : la lumière naturelle, la poussière, le bourdonnement de l’été. Mais on devine que même sur scène, elle serait parvenue à les recréer, tout en donnant à son œil de dramaturge la possibilité de constituer le parfait espace pour son histoire. En effet, tout ce qui marcherait au théâtre – la nervosité ambiante, la dureté des contacts, le débordement des mouvements, les entrées et les sorties des habitants autour des deux protagonistes –, devient au cinéma trop appuyé, presque stéréotypé parce que pas tout à fait à sa place dans le décor naturaliste du film ; trop théâtral en somme.

    Or, le sens du drame, Emma Dante l’a incontestablement, qui arrive à hisser une provocation anecdotique au rang de métaphore existentielle, évoquant à travers elle le destin de sa ville piteuse et, au-delà, celui d’une humanité oscillant entre grandeur et délabrement. « La désespérance palermitaine fait partie du patrimoine mondial de l’humanité», disait-elle encore en 2012. Le film nous donne envie de sentir la puissance de ce malheur sur une scène de théâtre.

    Emilie Garcia Guillen
    Emilie Garcia Guillen
    Journaliste du Suricate Magazine

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