Amoureux de la nature et critique de la société, Henry David Thoreau est connu pour ses oeuvres majeures Walden ou la vie dans les bois et La Désobeissance civile. Proche de Ralph Waldo Emerson, il évolue parmi les intellectuels transcendentalistes américains. En 1842, suite à une commande de l’Etat du Massachusets, Emerson, chez qui il séjourne, lui demande de faire le compte rendu de rapports scientifiques sur l’histoire naturelle de la région, pour le numéro de juillet de la revue transcendentaliste Dial.
Passionné de la nature
L’objectif de la commande est de travailler ces rapports qui font l’inventaire de la faune et la flore de la région, vantant sa richesse naturelle. Or, la subjectivité de Thoreau prend le pas sur la consigne initiale à laquelle il ne consacre finalement que cinq paragraphes. L’auteur préfère décrire sa relation passionnée à la nature.
A court de temps, Emerson publie le texte.
Et c’est ainsi que l’Histoire naturelle du Massachusets offre le point de départ du nature writing, genre littéraire auquel s’adonnera notamment Mary Austin (dont l’oeuvre la plus connue est Le Pays des petites pluies). Le nature writing consiste en l’observation personnelle, attentive et sensible de l’auteur.e de son environnement naturel, en la traduction de la relation entre la nature et l’écrivain.e. qui en expérience les merveilles. Qu’est-ce que la nature lui apporte ? Et par extension, que peut-elle apporter au lectorat ? Que du bon, naturellement.
La préoccupation première de Thoreau est donc la nature. Il oppose la nature à la société, qu’il considère malade, « d’autant plus qu’elle est évoluée ». Il incite à la contemplation de la nature, une contemplation sereine et discrète, qui requiert silence et modestie, et pousse à la comprendre, la respecter, l’admirer et l’aimer. La perfection de la nature est telle qu’elle serait la preuve qu’il y règne un ordre instauré par un principe supérieur.
Les descriptions subjectives de l’environnement naturel du Massachusets sont entrecoupées d’une dizaine de poèmes, qui permettent à Thoreau d’affirmer que l’expression de la nature doit être poétique. Le texte se situe ainsi à l’opposé de la démarche du naturalisme scientifique.
La lecture de ce texte est amusante au regard de son contexte de rédaction. Thoreau qui n’en fait qu’à sa tête, ça prête à sourire. L’ensemble de l’oeuvre n’est pas forcément incontournable mais elle contient certaines métaphores savoureuses et quelques paragraphes vibrants à propos du rôle de la nature, qui méritent qu’on s’y attarde.
Militant politique
Un autre aspect marquant par lequel la pensée de Thoreau se définit est son militantisme politique. En 1854, il rédige le Plaidoyer en faveur du capitaine John Brown après l’arrestation de ce dernier, un activiste abolitionniste auteur de l’assassinat de cinq esclavagistes. Il pointe du doigt le paradoxe et même l’hypocrisie qui règne en Amérique, où l’on dit vivre dans un pays libre alors que les Noirs sont considérés comme ses sous-hommes et mis en esclavage.
Avec ce discours, Thoreau continue dans la veine anti-esclavagiste de son oeuvre et adopte une position très différente de celle qu’il préconisait dans La Désobeissance civile. En effet, il bascule avec ce texte dans la militance, pour la résistance pacifique à l’acceptation de la violence au service d’une cause juste. Il déclare que les armes sont des outils dont le Capitaine Brown a fait bon usage (probablement le seul bon usage qui puisse en être fait).
Il préconise également le devoir d’ingérence ; il estime qu’il faut agir concrètement auprès des propriétaires d’esclaves. Thoreau en veut au gouvernement qui condamne à mort un homme qui oeuvre pour la justice, un gouvernement composés d’hommes qui refusent de prendre des mesures concrètes quand il s’agit de mettre fin à l’esclavage de millions de personnes. Il attaque surtout tous les bien-pensants opposés à l’esclavage mais qui ne soutiennent pas les actions violentes du Capitaine, ses contemporains « pleins de bonnes intentions mais paresseux par nature » dont il offre une vision extrêmement pessimiste. Il dénonce leur apathie, leur inaction : “Je parle pour les esclaves quand je dis que je préfère la philantropie du capitaine John Brown à une philantropie qui ne me tue pas, mais ne me délivre pas non plus. »
Thoreau écrit ce plaidoyer sous le coup de l’émotion et n’hésite pas à comparer la peine du capitaine à la crucifixion du Christ. L’intérêt de ce texte, même s’il peut paraître extrême dans ses références religieuses et son ton passionné, réside dans le fait qu’il questionne la légitimité des lois, accuse la violence mesquine quotidienne d’un système qui comporte police, prisons, mises à mort, etc.
Aujourd’hui, outre la remise en question d’une société qui contrôle et enferme ses citoyens, se pose encore la question : vaut-il mieux résister pacifiquement ou faut-il lutter au moyen de la violence ? Le débat est ardemment actuel, et il est ouvert.
Histoire naturelle du Massachusets et Plaidoyer en faveur du Capitaine John Brown sont des essais idéaux à parcourir si l’on souhaite aller plus loin dans la compréhension de la pensée de Thoreau, et en approfondir les deux aspects fondamentaux. Mais pas seulement… Inspirants, ils apparaissent comme des livres de chevet dans lesquels on peut se replonger à tout moment pour étayer ses convictions écologiques et citoyennes.