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    Rencontre avec Anna Odell

    Ce 27 août, The Reunion sort dans les salles obscures. L’occasion pour nous de rencontrer sa réalisatrice Anna Odell.

    The Reunion est votre premier long-métrage. Vous êtes-vous inspirée de certains films?

    Je suis très inspirée par le cinéma danois. Par Thomas Vinterberg et son Festen, bien sûr, et aussi par Les idiots de Lars von Trier, un film incroyable.

    Comment est né le projet du film ?

    Je savais qu’il devait bientôt y avoir la célébration des 20 ans de ma promotion scolaire. Depuis le début, je voulais faire une production artistique sur ce sujet, puisque je suis une artiste. Je voulais aller à cette réunion et faire un discours similaire à celui que je tiens dans le film. Alors que j’y travaillais, j’ai reçu un message facebook d’une ancienne camarade me disant que c’était dommage que je n’étais pas venue, alors que tout les autres étaient là. C’est comme cela que j’ai appris que je n’avais pas été invitée. Ensuite, j’ai décidé de réaliser ce film dont la première partie est une simulation de ce qui aurait pu arriver si j’y avais été.

    Comment était-ce d’écrire et de diriger le film tout en jouant dedans ?

    C’était fou ! C’était très intéressant et amusant, mais c’était aussi beaucoup de pression. En fait, trouver quelqu’un qui ait été victime d’intimidation et à qui je puisse demander, pour une période aussi longue, de revivre tout cela aurait été difficile. Par contre, je connais mes limites et je sais jusqu’où je peux aller. Donc, dans ce sens-là, c’était plus facile de travailler avec moi-même.

    Certaines étapes ont-elle été particulièrement ardues ?

    Le montage était difficile. La première partie est tellement dramatique, tandis que la deuxième ne montre rien à proprement parler. Cette structure va à l’encontre de toutes les règles dramatiques. Je devais être précise dans ce que je voulais obtenir et montrer. J’aurais facilement pu terminer avec un film inégal. C’était un défi de faire fonctionner les deux parties du film ensemble. Mais on n’a pas arrêté d’essayer jusqu’à ce que ça marche !

    Dans la première partie du film vous poussez les choses très loin. Comment se sent-on dans pareille situation ?

    La partie la plus difficile était avant, quand j’ai commencé à écrire le discours dans l’idée d’en faire un projet artistique. J’ai alors réalisé à quel point la société refuse de parler de ce qui ne va pas.

    C’était aussi très dur parce que même si je me répétais que c’était pour un projet artistique, j’étais fâchée contre moi, je me disais que je n’étais pas prête à passer à autre chose. Ce sentiment était très fort, je pouvais le sentir dans tout mon corps. Par moment, cela me semblait tellement mal de passer à nouveau à travers tous ces événements.

    Je n’ai jamais fait cette confrontation en tant que « Anna », mais c’était pour moi très important d’explorer cela en tant qu’artiste.

    Quand vous allez jusqu’à physiquement attaquer vos anciens camarades, que ressentez-vous ?

    Dans un sens, se battre était plus facile. La deuxième partie du film était plus dure à réaliser, car elle consiste à aller vers des gens, demander et demander encore et ne pas toujours recevoir de réponse.

    Considérez-vous que transformer votre expérience en œuvre d’art soit un processus cathartique ?

    Quand on joue soi-même dans le film, avec tellement d’acteurs à diriger et d’éléments à vérifier, comme la position des caméras, l’éclairage, etc., tout cela empêche d’utiliser ces moments-là comme une thérapie. Il y a tellement de choses à gérer, c’est du boulot.

    Le film n’était pas un traitement. Mais le faire m’a apporté tellement. C’était bien de rejouer, de revivre ces situations, de poser des questions. J’ai fait quelque chose dont je ne me serais jamais crue capable. Même si j’avais au départ très peur, j’ai travaillé avec ces acteurs professionnels, j’ai réalisé le film, et cela a été une réussite. C’est quelque chose de conséquent. J’ai fait quelque chose de mon expérience, ce qui est bien en soi.

    Estimez-vous que l’adulte d’aujourd’hui peut être responsable du comportement de l’enfant d’hier ? Est-on solidaire de ce que l’on a été ?

    Ce projet n’est pas à propos de la culpabilité, cela ne m’intéresse pas. Je suis intriguée par la façon dont nous sommes liés à notre passé, par la manière dont un groupe fonctionne et devient ce qu’il devient. C’était le projet. Ces hiérarchisations ont lieu partout. Je ne veux pas travailler avec la culpabilité. Je ne voulais pas que mes camarades ressentent ce sentiment. Je voulais que tout le monde puisse parler et apprendre comment fonctionne un groupe.

    Cependant la culpabilité est problématique. Si je dis à quelqu’un que je ne veux pas qu’il ressente de la culpabilité, la personne se dit « elle estime donc que je pourrais me sentir coupable ?! » et alors ce sentiment peut émerger.

    Dans une scène, vous dites à l’un de vos anciens camarades qu’il était le pire : en tant qu’élève populaire, en haut de la hiérarchie, il n’a pas pris votre défense. Est-on responsable de ce que l’on ne fait pas ?

    Oui, mais si une personne ne sait pas qu’elle est responsable, on ne peut pas la blâmer. C’est la responsabilité des enseignants d’éduquer les enfants.

    Précisément, il n’est jamais question des enseignants dans le film.

    Non. On pourrait parler de la situation que je décris à tellement de niveaux différents, il a fallu faire des choix. J’ai rencontré certains de mes anciens professeurs avant, durant la phase de recherche, mais cela n’aurait pas cadré avec l’histoire de les inclure dans le film.

    Dans la seconde partie du film, certains de vos anciens camarades font tout ce qu’ils peuvent pour éviter de vous parler ou de vous rencontrer. Pourquoi ?

    Peut-être est-ce un sentiment de culpabilité qui vient de leur passé ? Aujourd’hui certains sont probablement effrayés par mon statut. Je suis devenue une artiste avec une certaine notoriété et voilà que je les contacte en leur disant que je travaille sur un film. « Comment va-t-elle me présenter ? ». « Et si elle me filme à mon insu ? ». Peut-être avaient-ils peur que j’utilise leur nom ou leur image ? Je ne sais pas, ils ont pu penser toutes sortes de choses.

    Qu’elles ont été les réactions après la sortie du film ? D’anciens camarades vous ont-ils reprochés de ne donner que votre version des faits?

    Peu d’entre eux m’ont contactée, mais aucun ne m’a reproché cela. Une des personnes représentées dans le film m’a écrit pour me féliciter – les critiques sont en effet très bonnes en Suède – et pour me dire que j’avais bien rendu compte des entretiens de la seconde partie. Or, cette personne est généralement le personnage du film le plus déprécié par le public. Ce commentaire est très important pour moi, car il ne s’agissait pas de montrer qui avait tort ou raison, mais d’être la plus honnête possible.

    Considérez-vous le fait d’être devenue une artiste reconnue comme une réaction à l’ostracisme dont vous avez souffert dans votre jeunesse ?

    Je ne pense pas. Je sais que cela peut paraît paradoxal, mais je n’ai jamais voulu être célèbre. Bien sûr, je voulais réussir en tant qu’artiste. Cependant, cela va à l’encontre de ce que je suis de me mettre en avant dans mes œuvres.

    En fait, après ma maladie, quand j’ai commencé à avoir à nouveau une vie normale, je me suis promis que cette période de ma vie, que mes peurs, ne m’empêcheraient jamais de faire ce que je trouve artistiquement intéressant et important.

    Avez-vous des projets pour la suite ?

    Depuis Unknown Woman, en 2009, qui a été quelque chose d’énorme, je n’ai pas arrêté de travailler, et je n’ai pas pris de vacances. Quand je commence un projet de cette envergure, je ne sais pas m’arrêter. Le film a représenté tellement de travail, même une fois qu’il était fini… Bien sûr, je pense à la suite, mais je me force à ne rien commencer. Maintenant, je dois me reposer un peu.

    Propos recueillis par Elodie Mertz

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