Que l’on soit amateur de théâtre ou simple spectateur occasionnel, difficile d’être passé à côté de Daniel Hanssens. L’homme, excellent comédien et metteur en scène hors pair, est devenu au fil du temps un incontournable de la scène belge francophone.
Avec sa compagnie La Comédie de Bruxelles, il explore l’humour à travers les genres, les auteurs de renom et les pièces cultes. De l’oeuvre intemporelle de Molière à la fraîcheur contemporaine de Francis Veber, Daniel Hanssens offre aux spectateurs ce qui se fait de mieux dans la comédie.
Cette année encore, l’intéressé a choisi de faire rire. Et pour sa première pièce de la saison, il a choisi la plume affûtée de l’auteur britannique Alan Ayckbourn. Rencontre chaleureuse avec un amoureux des planches.
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Voilà quatorze années que vous avez créé La Comédie de Bruxelles. Quel bilan faites-vous à l’aube de présenter votre première pièce de la saison ?
On peut faire plusieurs bilans. D’abord un bilan humain qui est extraordinaire. Toutes les rencontres que j’ai pu faire et tout le travail que j’ai pu effectuer avec les acteurs dans une ambiance très sereine. De ce point de vue, ce n’est que du bonheur, du plaisir. Evidemment, j’ai à chaque fois recherché les meilleurs acteurs pour mes pièces, c’est-à-dire des comédiens qui puissent fonctionner au sein d’une troupe. C’est terriblement important pour moi.
Après, il y a le bilan financier et là, c’est beaucoup plus mitigé. Cela a été très bien pendant quelques années, puis j’ai eu un problème de permis pour un spectacle, avec des dates annulées et ce que cela entraîne. Cela m’a complètement plongé dans une dèche financière gigantesque. J’ai du alors, pendant quatre à cinq ans, la remonter à bout de bras pour pouvoir éponger mes dettes. {…} C’est un drame pour quelqu’un comme moi qui n’en avait jamais eues. Heureusement, tout cela est loin derrière.
Sinon, en faisant le bilan, je me dis qu’il est temps pour moi aujourd’hui de changer ma manière de fonctionner. Je veux plus de temps pour ma famille, pour ma compagne, pour mes enfants. Je pense avoir beaucoup donné pour ce métier. Puis, il y a le cinéma. J’ai la chance actuellement de pouvoir faire « Ennemi Public », qui est une série magnifique, et de jouer dans des films. C’est quelque chose qui me donne de l’oxygène. J’ai envie de me nourrir de plein de choses, mais d’avancer différemment. Après je reviendrai peut-être davantage vers le théâtre, je ne sais pas. Je pense qu’il faut que le théâtre évolue. Si on continue comme on le fait maintenant, le théâtre est mort. Il faut revoir aussi bien la façon de le proposer que de le présenter.
Tout prochainement, vous présenterez « Du côté de chez l’autre », une adaptation d’une pièce d’Alan Ayckbourn, auteur d’innombrables pièces de théâtre. Pourquoi avoir choisi cette pièce-là et cet auteur-là ?
D’abord, j’aime beaucoup Alan Ayckbourn. Ensuite, j’aime beaucoup l’humour anglais. En Belgique, je pense que nous sommes plus proches de l’humour anglais que de l’humour latin. C’est probablement ce qui fait la différence entre les Français et nous. Les auteurs anglais ont une belle qualité d’écriture. C’est en tout cas celle qui me parle le plus.
Quant au choix de la pièce, c’est différent. Chaque année, je vais voir des pièces, je me rends en librairie pour découvrir de nouvelles choses, on me propose aussi des pièces. Et au final, je regarde si ça me fait rire, si c’est encore d’actualité et puis, je choisis. Après, il faut aussi choisir les acteurs qui pourront entrer dans la pièce. Pour celle-ci, il fallait des acteurs complètement fous et décalés. C’est ce que j’ai dans cette distribution. Ils sont absolument extraordinaires et touchants. J’en découvre d’ailleurs trois avec qui je n’avais pas encore travaillé et ça me plait.
Cela apporte de la fraîcheur…
Oui, puis cela me confronte à quelque chose de nouveau. Ce sont des gens que j’aurais envie de rappeler sur d’autres spectacles, parce que c’est plaisant de travailler avec eux.
La pièce « How the Other Half Loves » a déjà été jouée auparavant à Paris avec pour titre « Les Uns chez les Autres ». Pourquoi l’avoir changé en « Du côté de chez l’autre » ?
Parce que j’ai demandé à Alan Ayckbourn si je pouvais en faire une adaptation. L’adaptation dont vous parlez est française et celle-ci fonctionnait moins bien avec nous. Alan Ayckbourn a dit oui, mais on m’a dit que je ne pouvais pas reprendre ce titre-là. J’ai alors proposé plusieurs titres et ils ont dit que « Du côté de chez l’autre » pouvait correspondre à la pièce.
La scène est divisée en deux parties sans séparation apparente, avec pour lieu commun une table… servant à ces deux mêmes parties. Un sacré défi !
Ce sont deux familles qui sont mélangées. Donc, les couples vivent dans deux appartements mélangés sur scène. Un côté fait partie de l’appartement des Foster, l’autre des Phillips. Les familles se croisent sans se croiser, elles se parlent sans se parler … c’est cela qui est très ludique dans la pièce. Mais le défi, c’est surtout pour les acteurs, car ils doivent être d’une précision diabolique. Surtout les Featherstone, puisqu’ils passent sans arrêt de l’un à l’autre. Aussi, il faut qu’ils connaissent le texte des autres pour pouvoir enchaîner, sans pour autant prendre leur rythme. Même chose pour les regards. Aujourd’hui (NDLR : jour du premier filage), ils se sont regardés de temps en temps par réflexe, mais ils ne peuvent pas. Autre chose, l’un des personnages s’est appuyé sur une chaise pour parler à sa femme, il ne pouvait pas car cette chaise-là n’existait pas pour lui.
Dans « Du côté de chez l’autre », on parle d’infidélité, de sexe, de machisme et de lutte des classes. Et tout cela fait rire le spectateur. Serait-il sadique ?
Non, cela reste une comédie. Le texte va loin, très loin, mais est bien écrit. Après, le texte se suffit à lui-même. Je prends un exemple : il y a quelques années, j’ai travaillé avec le Cirque de Moscou. J’allais en Russie avec Alain Leempoel, j’allais voir des spectacles et je revenais ici avec des numéros de clowns. Ils vont loin, mais très très loin ces clowns. Mais s’ils ne sont pas sincères, l’enfant ne rit pas et l’adulte qui l’accompagne non plus. C’est pour cette raison qu’il faut garder le fil de la sincérité tendu. À partir de ce moment, on peut pleurer dans une comédie. Dans « Le Diner de con », le type qui organise le repas est quitté par sa femme, il a un lumbago et il se tape un con. Il est anéanti et il pleure, c’est important pour la suite. Le but de ce genre de théâtre, c’est de se faire rencontrer des gens qui ne devaient pas se rencontrer.
De manière plus générale, La Comédie de Bruxelles présentera cette année deux pièces avec pour thème central l’amour…
Tout à fait. La deuxième pièce (NDLR : « Un amour qui ne finit pas »), j’en suis tombé amoureux. Qu’est-ce que c’est beau ! C’est un type qui est dans une station balnéaire. Il rencontre une femme, il la regarde et la femme dit : « Mais Monsieur, arrêtez de me regarder ! ». Lui dit alors : « Non seulement, je vais continuer de vous regarder, mais en plus, je vais vous aimer ! ». L’homme va alors lui écrire tous les jours, lui promettant un amour infini, sans appartenance, sans jalousie. La seule chose que la femme doit faire, c’est recevoir ses lettres et les lire.
C’est une pièce sur l’amour bien écrite, dans un beau français. La langue française s’appauvrit tellement ces derniers temps. Ici, c’est une langue française riche, mais qui se comprend très bien.
Lorsqu’on se rend dans les théâtres bruxellois, on constate que la moyenne d’âge du public est souvent élevée. Pensez-vous que l’humour et le vaudeville en particulier permettraient d’amener plus de jeunes aux représentations ?
Cela dépend surtout de la manière dont c’est monté. Maintenant, pour amener les gens à aller voir des pièces de théâtre plus compliquées ou qui traitent d’un sujet plus actuel, il faut peut-être passer par le vaudeville effectivement. En tout cas, il ne faut pas les dégoûter dès le départ. Pourquoi tant de gens vont au théâtre en Angleterre ? Pourquoi sont-ils à l’heure au théâtre ? Parce que cela fait partie de leur enseignement. Tous les spectateurs ont au moins été une fois sur un plateau dans leur jeunesse. Ils vont voir des pièces et ils montent des spectacles à l’école. Je trouve que, chez nous aussi, cela devrait faire partie du cursus scolaire.
« Du côté de chez l’autre », du 5 au 9 décembre au Centre Culturel d’Auderghem et du 15 au 31 décembre au Centre Culturel d’Uccle. Plus d’infos sur le site www.comediedebruxelles.com