auteur : Rosa Montero
édition : Métailié
sortie : janvier 2017
genre : roman
A l’aube de ses 60 ans, Soledad est aussi désespérée qu’une héroïne de tragédie. Son amant de 20 ans son cadet, Mario, interrompt leur relation car son épouse attend un enfant. Pour se venger et rendre Mario jaloux, Soledad va faire appel à un gigolo, le bel Adam. Les choses ne se déroulent pas comme prévu car un événement violent va rapprocher la sexagénaire et le bellâtre. Mais de quelle façon peut évoluer une telle passion ?
Chef d’oeuvre à l’horizon ! Ou comment une histoire banale peut vous emmener dans les tréfonds de l’âme humaine de manière aussi brillante qu’effrayante.
Tout d’abord, grâce à son personnage principal, Soledad. Belle, cultivée, élégante et professionnelle. Ancienne directrice d’un centre culturel, son travail la mène à présent à donner des cours, des conférences et de mettre sur pied une exposition à la bibliothèque nationale qui a pour sujet les écrivains maudits. Elle semble avoir tout pour être épanouie. Et pourtant… Elle porte si bien son nom, Soledad (solitude en français). Seule, elle l’est depuis toujours. Elle ne peut se résoudre à aimer les hommes de sa génération, leur préférant des individus très beaux, bien plus jeunes et de ce fait intéressés pour un temps seulement. S’éprendre d’un vieux ou d’un moche reviendrait pour elle à se résigner. Cette superbe héroïne torturée qui agit selon ses envies et ses souffrances est parfaitement décrite dans sa complexité par Rosa Montero.
Cette dernière se permet également de soulever certains points qui font depuis longtemps fureur dans les cercles féministes. Au sujet du jugement sévère porté par la société à l’égard des femmes attirées par des hommes plus jeunes. D’autant plus que cet avis s’avère nettement plus magnanime par rapport à la situation inverse. Ou encore concernant les femmes ne désirant pas d’enfant et se sentant continuellement dans l’obligation de se justifier devant cette même société, certes tolérante, mais quand même, faut pas déconner. Il n’est point besoin d’être Simone de Beauvoir ou de montrer ses seins en Ukraine ni même d’être une femme pour se sentir concerné par ces questions. C’est le message que Rosa Montero essaie de faire passer de façon assez habile.
La chair est aussi un roman sur le temps qui passe et l’ambivalence qui en découle. D’une part la maturité qui empli l’Homme de sagesse, de connaissances et de davantage de bienveillance. Et d’autre part, le temps ravageur qui laisse des traces sur les corps. La chair qui pendouille, les kilos qui s’accumulent, les rides qui sillonnent les visages, les cheveux qui s’enneigent, la crasse sénile qui apparaît… Soledad, comme tant d’autres ici-bas, combat ces bouleversements du mieux qu’elle peut mais au bout d’un moment, ne faut-il pas rendre les armes ? L’acceptation n’est pas toujours évidente et encore une fois, l’auteur l’évoque avec beaucoup de délicatesse.
Pour finir de vous convaincre, impossible de ne pas évoquer la plume magistrale de Rosa Montero. Un ton acerbe mais toujours juste, des propos durs mais chaque fois justifiés, un humour noir mais tellement bien placé. Un vrai régal. En sus, la culture abyssale de l’auteure espagnole est mise en lumière par le biais de cette exposition sur les écrivains maudits. Vous apprendrez énormément de choses sur des gens de lettres et artistes connus ou moins connus et à quel point leur vie était loin d’être un long fleuve tranquille. Ainsi vous ne regarderez plus cette bonne vieille Anne Perry ou ce cher Guy de Maupassant de la même façon, c’est garanti !
En définitive, un grand livre d’une grande dame.